La Réunion : les voyants sont au vert

SONY DSCFaut-il croire à l’alignement des planètes ? En cette année d’éclipse annulaire, La Réunion peut au moins constater la réalisation de certains de ses espoirs, parfois formulés depuis de longues années.
Modernisé, agrandi, le port de commerce devient enfin le hub de transbordement que ses entreprises enrageaient de voir se développer à l’île Maurice. Les escales s’enchaînent et les conteneurs s’entassent sur les quais comme jamais. CMA CGM y est pour beaucoup, mais un peu moins que l’État, qui a mis les moyens financiers nécessaires sur la table pour attirer vers l’île les lignes maritimes internationales.
Il reste encore à faire pour développer l’activité portuaire mais les voyants sont au vert. Le foncier existe et les réflexions sur son utilisation sont engagées. Les travaux de l’autoroute sur le littoral mettent en lumière des métiers méconnus dans l’île et font travailler de nombreuses entreprises. Même les croisières, longtemps peu considérées, connaissent un regain d’intérêt de la part des décideurs.
Côté pêche, alors que s’ouvre une bataille pour la légine australe, la structuration d’une filière pélagique autour de l’interprofession commence aussi à porter ses fruits. Les faillites en cascade ont cessé et le secteur attire de nouveaux investissements. Et plus seulement des coups de défiscalisation. La Réunion a souvent parlé de regarder vers la mer pour son développement. Elle commence peut-être à le faire réellement.

Dossier réalisé par Raphaël ORTSCHEIDT

 

 

 

shipping Port Réunion a décuplé ses moyens

Les efforts du grand port maritime en matière d’équipements portent leurs fruits. Le trafic de conteneurs s’envole et les objectifs fixés pourraient être atteints plus vite que prévu.

Optimisé, agrandi, fiabilisé, Port Réunion a connu de profonds changements depuis 2014. Une année au cours de laquelle le président de la République, François Hollande, était venu inaugurer les grands travaux qui doivent permettre à la place portuaire réunionnaise de prendre une nouvelle dimension.
Depuis, l’unique quai à conteneurs a été allongé de 160 mètres et porté à 640 mètres utiles. La darse a été creusée à 15,50 mètres, contre 13,50 mètres, et trois nouveaux portiques, de type super-overpanamax, ont été installés. Le dernier est entré en service en juillet. Avec une hauteur de levage de 63 mètres, contre 45 mètres pour leurs prédécesseurs, ils permettent de traiter 21 rangées de conteneurs et d’augmenter les cadences à 30 cycles par heure. Un gain de productivité non négligeable.
Plus de 80 millions d’euros ont été engagés dans ces travaux par l’Europe, via le Feder (38 millions), le grand port maritime sur fonds propres (32 millions) et l’État (11 millions). Désormais, les manutentionnaires peuvent traiter deux navires de 9 000 EVP en parallèle et Port Réunion voit accoster régulièrement les bateaux jumboïsés à 10 000 EVP de CMA CGM.

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Le transbordement a décuplé l’activité de Port Réunion.

La compagnie a installé dans l’île son hub régional et les volumes traités s’en ressentent. Sur les six premiers mois de 2016, le nombre d’escales a augmenté de 31 % par rapport à la même période en 2015, passant de 262 à 343 navires. Le trafic de conteneurs a bondi dans des proportions similaires, avec 32 % d’entrées supplémentaires.
Alors que 75 % du trafic conteneurisé était issu, avant les travaux, d’un transbordement opéré au Moyen-Orient, à Singapour ou en Malaisie, La Réunion est désormais reliée en direct à la Chine et à l’Afrique de l’ouest et redistribue les conteneurs dans l’océan Indien.
Quatrième port à conteneurs de France, Port Réunion en a traité presque 250 000 en 2015, dont un peu plus de 23 000 rembarqués à destination de Maurice ou de Madagascar. L’année 2016 voit déjà une forte progression de cette activité avec plus de 42 000 conteneurs transbordés à la fin juillet. Fixé à l’horizon 2018, l’objectif de 100 000 transbordements pourrait être atteint dès 2017.
Sur une autoroute de la mer entre l’Asie et l’Amérique du Sud, où transitent 7 millions de conteneurs, Port Réunion mise sur ses rendements pour convaincre des compagnies de préférer ses installations à celles du voisin mauricien. Mais ce redoutable concurrent, qui a traité 361 000 conteneurs en 2015 – une mauvaise année pour Port-Louis – projette d’en accueillir 800 000 après de grands travaux.

 

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Jean-Frédéric Laurent, président du grand port maritime
« Nous sommes en phase de démarrage »

Jean-Frédéric Laurent, président du directoire du grand port maritime de La Réunion, annonce trois ans de travaux pour mettre en adéquation les installations du port avec sa nouvelle puissance de feu.

Vous venez d’investir un peu plus de 81 millions d’euros, est-ce que les grands travaux de Port Réunion sont terminés ?

En réalité, ce sont près de 100 millions d’euros qui ont été investis puisque nous avons aussi creusé la nouvelle darse de grande plaisance au port Ouest. Le projet stratégique 2014-2018, c’est 140 millions d’euros. Il nous reste à faire la modernisation et la mise à niveau des terre-pleins adaptés à notre nouvelle puissance de feu. Il va également y avoir des relocalisations et modernisation de certaines activités. C’est le cas pour les conteneurs frigorifiques dont les installations sont insuffisantes. Et surtout, nous allons repenser l’accès du port. Nous n’avons pas de zone de stockage des camions et il nous faut un système plus fluide. Tous ces travaux, qui vont libérer des espaces, vont s’étaler sur les trois prochaines années.

Quels sont vos projets dans la zone arrière de 85 hectares qui a été dévolue au développement des activités portuaires ?

Nous en sommes au début de la réflexion. La zone est encore occupée par de nombreuses activités dont les horizons s’étalent entre 2018 et 2021. Une étude va lister l’ensemble des contraintes. On pourra ensuite y superposer des objectifs. Nos besoins sont liés aux opérations de chargement et déchargement des navires. Pour les conteneurs, les véhicules, le conventionnel, des espaces de stockage et de manutention. Et en dehors de la zone portuaire, des activités dont la logique veut qu’elles s’implantent à proximité : première transformation, exportation…

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Le nouveau mode de fonctionnement du port n’est pas tout à fait abouti, estime Jean-Frédéric Laurent.

Il y a eu des difficultés dans la gestion des flux au démarrage du hub de CMA CGM. Sont-elles aplanies ?

Elles existent toujours mais elles sont moindres. Nous avons fait un réaménagement provisoire de l’entrée pour pouvoir augmenter la capacité de stockage des camions et nous avons mis à disposition des manutentionnaires des espaces de stockages supplémentaires pour les conteneurs vides, qu’il a été compliqué pour les compagnies d’évacuer. Le hub est monté en puissance très vite. Aujourd’hui, nous commençons à entrer dans un nouveau mode de fonctionnement. Les manutentionnaires sont en train de s’équiper de chariots cavaliers supplémentaires. Ce sera une étape importante pour le fonctionnement du terminal. On pourra mettre en place des moyens beaucoup plus importants à chaque escale et on pourra travailler simultanément les livraisons aux camions.

La Réunion est-elle armée pour la concurrence avec l’île Maurice ?

Nous sommes sur des stratégies de développement différentes. La Réunion a des besoins d’importation et d’exportation. Nous avons prouvé qu’elle a des capacités d’accueillir du trafic de transbordement mais ce qui est vraiment intéressant pour l’île, ce sont les lignes maritimes. La liaison avec la Chine, le Moyen-Orient, les feeders régionaux. Est-ce que notre ambition est de faire 1 million de conteneurs dont la grande majorité pour le transbordement ? C’est la stratégie de développement de Maurice, pour le moment ce n’est pas celle de La Réunion.

 

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CMA CGM Son installation redistribue les cartes

En faisant de La Réunion son hub pour l’océan Indien, CMA CGM a dopé l’activité sur les quais. À tel point que se posent aujourd’hui de nouveaux problèmes liés à la main-d’œuvre, aux pré et post-acheminements et à l’encombrement des terre-pleins.

La Réunion ne regarde plus les grands porte-conteneurs passer au large. Depuis l’inauguration du hub océan Indien de CMA CGM, le 6 janvier, les navires viennent accoster dans un port modernisé, désormais capable de les décharger selon les cadences exigées sur les autoroutes de la mer.
Alors que seule MSC desservait auparavant La Réunion en direct depuis l’Europe, les autres compagnies opérant des feeders depuis l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, l’île est désormais au carrefour des rotations entre le vieux continent, l’Asie et l’Afrique.
CMA CGM a ainsi ajouté des escales réunionnaises à sa ligne entre l’Europe et l’Australie (Nemo), à son service qui relie l’Inde et la péninsule arabique à l’Afrique (Midas) et à celui qui fait la rotation entre les grands ports chinois et le golfe de Guinée (Asaf).
Des escales parfois opérées avec des navires de 9 000 EVP ou plus, qui complètent la liaison océan Indien – Malaisie (Mozex) et qui viennent toutes se connecter aux services de feeders régionaux, qui chargent désormais à Port Réunion.
Les volumes ont suivi. CMA CGM avait fixé à 2018 l’objectif de 100 000 transbordements pour son hub, ce sera sans doute 80 000 dès la fin de cette année avec des lignes qui n’ont été inaugurées qu’en mars ou avril. La compagnie française est désormais la première en termes d’activité à La Réunion.
Elle a tenu l’engagement signé en août 2014 devant le président de la République. Comme l’accord d’installation du hub le prévoyait, elle a pris le contrôle de la Société d’acconage et de manutention de la Réunion (SAMR) et, par ricochet, de la Sermat, le GIE chargé de l’entretien des chariots-cavaliers du port. Des cadres de la société sont venus s’installer dans l’île et de nouveaux locaux ont été investis.

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CMA CGM est désormais la première compagnie maritime en termes d’activité à La Réunion.

Mais CMA CGM bute sur l’accord social qu’elle espérait signer avec les autres manutentionnaires de la place pour du prêt de main-d’œuvre. Un accord qui cherche à déminer les conflits en partageant l’activité tout autant qu’à éviter de recruter massivement. Depuis le démarrage du hub, CMA CGM a en effet embauché une trentaine d’intérimaires, mais c’est 70 à 80 salariés supplémentaires qu’il lui faudrait pour décharger seule ses navires.
Ce prêt de main-d’œuvre, les dockers de la SAMR le refusent. Alors qu’ils ont accepté une modération salariale pour les nouveaux entrants, ils exigent des embauches. Du côté des acconiers, l’enthousiasme n’est pas non plus palpable. Un seul l’a entériné.
C’est néanmoins du côté des transporteurs que la seule véritable grogne s’est fait entendre. Confrontés à de grosses difficultés pour récupérer les conteneurs depuis que les chariots-cavaliers sont accaparés par le déchargement de navires plus nombreux, ils ont refusé, pendant deux jours au mois de mai, de prendre des conteneurs pleins tout en ramenant les vides. Sur des terre-pleins exigus, déjà encombrés par les vides qui n’avaient pas été rembarqués, un problème récurrent pour Port Réunion, l’asphyxie a été rapide.
De nouveaux chariots-cavaliers acquis par les manutentionnaires et une réorganisation des terre-pleins doivent permettre d’éviter que le hub de transbordement de CMA CGM entre en conflit avec les besoins internes de l’île.

 

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L’État met un frein au projet de second port

C’est l’un des projets phare de la nouvelle mandature régionale : construire un second port de commerce à une quarantaine de kilomètres de l’existant, dans l’est de l’île. Jean-Paul Virapoullé, le maire de Saint-André et vice-président de la région, veut installer sur sa commune toute l’activité vracs (charbon, sucre, ciment…) du grand port maritime de La Réunion, qui pourrait alors se concentrer sur les conteneurs et sa stratégie de transbordement.
Avec un cercle d’évitage de 415 mètres, un terre-plein de 20 000 m², et une zone arrière où s’aligneraient pas moins de 40 unités de stockage ou de valorisation, c’est 5 000 emplois que celui qui préside également l’intercommunalité de l’Est, la Cirest, assure pouvoir créer. Des études de projet sont annoncées comme imminentes.
À l’occasion de l’examen du schéma de cohérence territoriale (Scot) de la Cirest, l’État vient pourtant de sérieusement refroidir ses ardeurs. Le projet de port est déclaré incompatible avec le schéma d’aménagement régional (Sar). Et comme il est également situé en zone prioritaire d’acquisition du Conservatoire du littoral, sur un espace considéré comme remarquable pour son intérêt écologique, l’État demande son retrait pur et simple du projet de Scot.
Pas de quoi décourager Jean-Paul Virapoullé pour autant. Celui-ci mise désormais sur le remplacement du Sar par un nouveau document-cadre d’urbanisme, le schéma régional d’aménagement et d’égalité des territoires (Sraddet), pour ouvrir la voie à la réalisation de son port. Mais pas avant plusieurs années.

 

Les croisiéristes accueillis à bras ouverts

Au mois d’avril, alors que les dockers bloquaient le port, les barrages ont été levés pour laisser entrer le Queen Victoria de la Cunard et ses touristes venus dépenser leur argent à La Réunion. Cette amabilité syndicale aurait été impensable il y a peu, mais le regard des Réunionnais sur les croisières a évolué. Désormais, l’île espère leur développement.
De fait, les retombées sont là. Une récente étude chiffre à 1,1 million d’euros les dépenses des croisiéristes au cours de la saison 2015-2016, alors que 35 % des 29 000 passagers amenés à quai, au cours de 28 escales, sont restés à bord.
Relativement jeune – les premiers navires ont accosté dans l’île dans les années 1990 –, l’activité a connu une croissance régulière, 3 % par an en moyenne. La piraterie somalienne ou les déboires de la compagnie Costa, dont l’Allegra avait subi un incendie en mer en 2012, ont pu un moment faire retomber le soufflé. Mais les deux dernières saisons ont été marquées par une forte croissance du nombre de passagers (+16 %) et l’arrivée de nouvelles compagnies. L’île est aussi redevenue point de départ des croisières Costa dans l’océan Indien, la compagnie y laissant un navire à demeure pendant l’été austral.

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Les bateaux de la Cunard font désormais escale à La Réunion.

Les perspectives de développement sont ainsi encourageantes. Selon l’observatoire du tourisme, elles seraient de 50 000 croisiéristes à l’horizon 2025 avec un quadruplement des dépenses. Mais il faudra repenser l’accueil des navires. Voire construire un quai dédié.
Pour l’heure, les bateaux accostent dans le port de commerce, loin de toute facilité de transport. Et parfois, les passagers qui n’ont pas acheté d’excursions à bord se retrouvent à errer dans la zone industrielle qui jouxte le port. Des navettes avaient été organisées par l’office de tourisme, mais les compagnies ont fait pression pour leur suppression, estimant qu’elles concurrençaient leurs excursions, sur lesquelles elles font une part importante de leur chiffre d’affaires. La Réunion va devoir résoudre un apparent dilemme : attirer les compagnies ou satisfaire leurs passagers.

 

Une réparation navale limitée

Avec un slipway, qui peut mettre au sec des bateaux de 800 tonnes et 63 mètres, et une petite cale de halage équipée d’un Roulev (45 tonnes au maximum) qui jouxte un terre-plein de 25 voies de garage, le port de la pointe des Galets, où se concentre l’essentiel des activités nautiques de l’île, a vu se développer une activité de maintenance et réparation navale.
Chaudronnerie, mécanique, froid, peinture… Une quinzaine d’entreprises y propose presque tous les métiers. Mais sans chantier, les gros travaux échappent à La Réunion pour filer vers l’île Maurice et le Chantier naval de l’océan Indien. Palangriers austraux, bâtiments de la Marine nationale, ravitailleur des Terres australes… les grands navires basés à La Réunion y effectuent leurs gros travaux.
« Il nous manque un vrai bassin pour travailler, commente Patrice Grondin, cogérant de Navirep, spécialiste des plastiques. C’est dommage parce qu’il y a des compétences et du travail. Nous travaillons pour tout le monde mais pour les petits travaux. »
Un sentiment partagé par le chaudronnier Pascal Lourme : « Il n’y a pas de réparation navale, seulement de l’entretien. Il n’y a ni électricien ni menuisier autour de la darse. Et moi, je suis à la limite de l’étouffement. Je ne sais plus où installer mes machines. Il n’y a pas de réelle volonté de faire quelque chose de bien. On ne peut travailler qu’au-dessus de l’eau, tout ce qui est important nous échappe. »

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Le « Clipperton » de Pêche avenir a commencé son carénage.

Quelques armements ont préféré développer leurs propres compétences. C’est le cas de la Sapmer, qui emploie douze personnes et des intérimaires pour entretenir ses palangriers et son chalutier-caseyeur.
C’est également le cas d’Enez, dont l’atelier de maintenance gère une vingtaine de bateaux, plus que la propre flotte de l’armement. « Nous avons huit personnes à temps plein, détaille Philippe Guérin, son patron. C’est une des spécificités à La Réunion, nous sommes obligés d’avoir un gros stock de pièces, ce qui entraîne des surcoûts. Aujourd’hui, nous ne sommes pas loin de savoir construire un bateau. » L’armement va ainsi remettre à flots le Vetiver 6, un palangrier qui rouillait à quai depuis 2012.
L’armement Pêche avenir a, lui, pris le parti de confier le carénage de deux de ses palangriers à une entreprise locale, la Somip. Les travaux viennent de débuter. C’est néanmoins un chantier espagnol qui transformera l’intérieur des navires.

 

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pêche Réorganisée, la filière pélagique alimente le marché local

Après des années de crise, la pêche palangrière visant les espèces pélagiques a été profondément restructurée, autour de la holding Réunimer. Celle-ci alimente régulièrement le marché local, en frais comme en congelé.

Après des années de disette, marquées par sept faillites majeures et une baisse importante de la production, passée de 3 500 tonnes en 2008 à 1 850 tonnes VDK (vidé et décapité) en 2015, la filière réunionnaise de pêche pélagique vit une heureuse embellie. De nouveaux longliners ont été mis à l’eau et de lourds travaux ont démarré pour remettre en pêche quelques palangriers hauturiers, qui rouillaient à quai depuis des années.
Surtout, le poisson a enfin trouvé sa place sur les étals locaux et n’est plus soumis aux aléas de l’exportation. Le prix moyen s’est stabilisé, il est même reparti un peu à la hausse en 2015, et la profession n’est plus obligée de multiplier les opérations promotionnelles pour écouler ses stocks.
Philippe Guérin et Sébastien Camus l’assurent, ce rebond est le fruit d’une profonde restructuration de la filière. Le patron de l’armement Enez (12 des 17 bateaux de plus de 12 mètres de la flottille) et le président de la holding Réunimer, qui le chapeaute depuis 2013, ont été deux des artisans de regroupements. Ceux-ci ont conduit à la constitution d’un groupe de cinq sociétés spécialisées (pêche, première et deuxième transformation, distribution, approvisionnements) qui emploie 140 personnes et réalise un chiffre d’affaires annuel de 23 millions d’euros.

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La pêche pélagique n’est plus dépendante de l’exportation, ça change tout.

Ils ont aussi été les ardents défenseurs de la création de l’Association réunionnaise interprofessionnelle de la pêche et de l’aquaculture. « L’Aripa a permis de structurer le marché, explique Sébastien Camus. Les volumes de la petite pêche, de la pêche côtière et de la pêche hauturière sont mis en commun pour garantir l’approvisionnement. La régularité et la qualité, c’est ce qui nous permet de vendre localement. » Du congelé en grandes et moyennes surfaces, du frais en poissonneries.
S’il reste trois unités de transformation dans l’île, l’essentiel de la production de la filière pélagique passe désormais par Réunipêche, l’usine du groupe, qui a traité 1 200 tonnes l’an dernier, dont la moitié à destination du marché local.
Dans quelques semaines, la filière devrait aussi voir revenir en production deux des six palangriers de 24 mètres rachetés par l’armement Pêche avenir, après la déconfiture des coopératives pour lesquelles ils avaient été construits en 2007.
« Nous avons fait deux ans de test avec le « Manohal », détaille Laurent Virapoullé, patron de l’armement. Ce sont de bons bateaux, qui tiennent la mer. Mais ils auraient dû être congélateurs dès le départ. La pêche fraîche implique trop de contraintes. Nous allons les transformer et mettre en place un segment en faisant quasi exclusivement de la pêche congelée. Je suis convaincu que cela va marcher. »
Alors qu’il cible prioritairement les thons à chair rouge (albacore et obèse), comme toute la filière pélagique réunionnaise, Laurent Virapoullé souhaite aussi valoriser les prises accessoires comme l’escolier et le requin à peau bleue.

 

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Les professionnels soutenus par la recherche

Six ans après la création du Centre d’appui technique à la pêche réunionnaise (Cap-Run), né de l’initiative d’un syndicat d’armements aux pélagiques, les chercheurs aiguillonnent désormais la flottille réunionnaise vers les innovations qui doivent lui permettre d’être plus vite sur les poissons, et à moindre coût, que ses concurrents de l’océan Indien.
Primordiales dans les premières années, qui suivaient une crise aiguë et la mise en place du plan Barnier, les économies de carburant sont reléguées au second plan par la baisse des cours du pétrole. Mais la recherche du carénage le plus efficace et l’évaluation de l’impact des opérations de maintenance se poursuivent.
Surtout, cette collaboration avec les chercheurs vient de permettre aux professionnels d’obtenir de précieuses informations sur l’écologie des thons albacore et patudo, les deux espèces les plus pêchées par les palangriers réunionnais.
Grâce au programme Prosper, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) a ainsi montré aux pêcheurs le lien entre thermocline (1) et comportement des thons, et indiqué à quelles profondeurs évoluent les deux espèces le jour et la nuit.
D’autres programmes étudient des techniques alternatives à la palangre horizontale ou cherchent à collecter des données sur la déprédation, qui impacte fortement la rentabilité des marées. Pendant quelques campagnes, des hydrophones ont ainsi été posés sur les lignes de pêche pour tenter de détecter les cétacés et faire le lien entre cette présence et comportement de déprédation.


(1) Ligne de séparation entre les eaux superficielles, plus chaudes, et les eaux profondes.


 

La Sapmer à la croisée des chemins

L’activité thonière de la Sapmer a entraîné de fortes pertes en 2014 et 2015. Elle a été réorganisée à partir des Seychelles au lieu de Maurice, avec un emploi plus intensif des dispositifs de concentration du poisson (DCP) en basse saison. 

Après deux exercices difficiles, avec des pertes qui ont frôlé les 12 millions d’euros en 2014 et dépassé les 6 millions en 2015, la Sapmer assure commencer à récolter les fruits du plan de redressement de son activité thonière.
Ce plan, drastique, a conduit l’armement à baser ses neuf thoniers senneurs aux Seychelles pour leur éviter de faire des allers-retours vers l’île Maurice et sa nouvelle usine, inaugurée en 2013, à réduire les salaires de ses marins et à demander une productivité accrue à ses navires.
Il a aussi conduit à prendre exemple sur la concurrence espagnole pour augmenter ses tonnages, en misant sur les dispositifs de concentration de poissons (DCP), dont l’usage est décrié par les écologistes et qui sont moins utilisés par les autres armements français.
« Notre stratégie a été mal comprise, explique Adrien de Chomereau, le directeur général. Au sein de la CTOI (NDLR : Commission des thons de l’océan Indien) ou à Maurice, où sont pavillonnés certains de nos navires, nous menons un lobbying pour limiter le développement des DCP. Cette stratégie du volume n’est pas durable. Mais cela prend du temps, les Espagnols sont vent debout contre les changements. Pour survivre, nous mettons un peu plus de DCP. »

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La Sapmer réfléchit à de nouveaux investissements dans la pêche australe.

Cette stratégie est suivie en basse saison, quand chute la pêche sur banc libre, « cœur de métier » de la Sapmer, et sans dépasser les 200 engins par navire. Mais en assumant le différend avec l’organisation de producteurs Orthongel, dont la Sapmer s’était éloignée fin 2014.
« Le moins de DCP possible, continue Adrien de Chomereau, c’est la voie de la vertu. Mais c’est un suicide économique. La CFTO a été vendue aux Néerlandais… Nous ne sommes pas les seuls à connaître une situation financière difficile. » Après le Maloya l’année dernière, pour assister les thoniers Bernica et Manapany, un deuxième navire de soutien, l’Alba Uno, racheté aux Espagnols, doit ainsi renforcer la flotte de la Sapmer fin 2016.
L’armement a parallèlement obtenu une certification Fad free pour sa pêche sur banc libre. Cette démarche s’inscrit dans sa stratégie de valorisation de produits premium, qui a permis à la Sapmer d’enregistrer une « hausse substantielle » du prix moyen et de voir ses ventes de thon brut remonter en 2015. « Il y a une sensibilité de plus en plus marquée pour le respect de la ressource, explique encore Adrien de Chomereau. Le banc libre, c’est le savoir-faire français. Nous avons d’excellents capitaines et seconds pour ça. Nous voulons le valoriser auprès des conserveurs et cela implique un très haut niveau de traçabilité. »
Avec une activité thonière qu’elle espère stabilisée, la Sapmer peut ainsi songer à de nouveaux investissements dans la pêche australe, son activité première. Pour l’heure, l’armement réorganise ses marées et lance quelques explorations à la légine hors des ZEE françaises.
Mais si son directeur général glisse qu’il ne coûte rien de réfléchir à après-demain, il est peu probable que la Sapmer reste longtemps hors du mouvement de renouvellement de la flotte des palangriers austraux qui a commencé à s’amorcer.

 

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La pêcherie de légine australe bousculée

Limitée à sept navires depuis 2002, la pêche à la très lucrative légine a été prise d’assaut par un nouvel armement, Réunion pêche australe, qui a réussi à faire modifier les règles établies par les Taaf et à obtenir un premier quota.

Les grandes manœuvres devaient attendre fin 2017 avec les résultats d’une nouvelle campagne d’évaluation des stocks. Alors seulement devaient, éventuellement, débuter des discussions sur l’ouverture à de nouveaux armements de la très select pêcherie à la légine australe, qui s’opère dans les eaux glacées des archipels Crozet et Kerguelen, au sud de La Réunion, entre les 40e rugissants et les 50e hurlants. Sous la surveillance des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf).
Mais c’était sans compter sur la détermination de Réunion pêche australe (RPA), une nouvelle société bâtie par les armements aux espèces pélagiques Enez (51 %) et Atlantis (30 %), associés à 38 patrons indépendants (19 %). Avec l’aide du comité régional des pêches et grâce à l’entregent du cabinet de lobbying Eurodom, le nouvel armement menait depuis plusieurs mois une intense campagne pour obtenir un quota de légine dès la saison 2016-2017.
Et il est parvenu à ses fins : le 16 septembre, à l’occasion de la répartition par navires et armements des quelque 6 350 tonnes du Total admissible de captures (Tac) de l’année, le préfet des Taaf, lui a donné l’autorisation de pêcher 100 tonnes : 80 tonnes à Kerguelen et 20 tonnes à Crozet. L’autre postulant, la Compagnie de pêche des mers australes (Copecma), n’a rien obtenu et les armements historiques (Sapmer, Cap Bourbon, Armements réunionnais, Comata, Pêche avenir et Armas pêche) retrouvent leurs quotas de l’an dernier, entre 830 et 1 028 tonnes par navire. « L’état de la ressource ne permettait pas de faire entrer un neuvième navire, assure Anne Tagand, la secrétaire générale des Taaf. La comparaison des dossiers nous a permis de trancher entre Copecma et RPA. »

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La flottille des palangriers visant la légine va s’enrichir d’une unité supplémentaire.

Pour partir en pêche, le nouvel armement doit encore montrer patte blanche sur le respect des critères économiques, techniques et environnementaux établis par les Taaf. Il doit aussi recruter un équipage pour affréter le palangrier qu’il va louer coque nue. Pour la petite histoire, le Corinthian Bay n’est autre que l’ex-Antarctique de Pêche avenir, qui a été jumboïsé par les Australiens.
Mais ces étapes semblent bien mineures comparées à ce que RPA a obtenu : une place dans une pêcherie fermée depuis 2002 et un bouleversement des règles établies. Le 19 août, les Taaf avaient ainsi mis fin au régime de limitation du nombre de navires autorisés à pêcher dans les eaux françaises. S’en est suivie une série d’actes réglementaires qui allaient tous dans le même sens : possibilité de déroger aux règles encadrant la pêche, dérogation au plan de gestion…
Malgré les craintes exprimées par les armements historiques quant au risque de perdre la certification MSC, l’entrée de RPA dans la pêcherie semblait inéluctable. Seul le changement de ministre des Outre-mers, la tutelle des Taaf, l’a retardé le temps d’obtenir l’aval de la nouvelle ministre, Ericka Bareigts.
Le Syndicat des armements réunionnais de palangriers congélateurs (SARPC), qui regroupe les acteurs historiques de la filière, a eu beau proposer, pour éviter cette entrée, de redistribuer une partie des bénéfices de la pêche à la filière artisanale locale, il n’a fait que confirmer en creux que l’argumentaire de RPA sur la « réappropriation » des ressources du bassin océanique par les professionnels réunionnais faisait mouche auprès des autorités.
« Ce sont sans doute les retours attendus pour le territoire qui ont emporté la décision, commente Sébastien Camus, président de la holding Réunimer, qui chapeaute l’armement Enez. Nous allons cotiser à l’interprofession de la pêche à hauteur de 30 centimes le kg et l’interprofession portera des projets d’aménagements dans les ports. Il y aura une meilleure porosité entre la pêche dans les Taaf et La Réunion. »
Le patron de la Copecma, Yannick Lauri, n’a pas souhaité régir à chaud. Pour le SARPC, Jean-Pierre Kinoo, patron de l’armement Cap Bourbon, indique regretter la décision des Taaf et annonce une étude des voies de recours juridiques pour la faire annuler.

 

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Attaques de requins : guerre entre pêcheurs et écologistes

La « crise requins », cette multiplication des attaques mortelles ou invalidantes au cœur de la zone balnéaire de La Réunion, épargnée avant 2011, a déclenché une véritable guerre entre les pêcheurs et quelques associations écologistes.
Invectives, recours judiciaires… Le torchon brûle depuis que le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM) met en œuvre un programme de captures financé par l’État, le conseil régional de La Réunion et les communes concernées, qui souhaitent l’installation de dispositifs de pêche (drumlines fixes et traîne de palangres de fond) au large de leurs zones d’activités nautiques.
Baptisé CapRequins, et présenté à ses débuts, en 2014, comme une simple étude sur la capturabilité des requins, ce programme de captures affiche aujourd’hui un bilan d’une centaine de requins tigres et bouledogues « prélevés ». Et les services de l’État le revendiquent désormais comme un moyen de réguler la population de requins et d’éviter des attaques, au grand dam de leurs protecteurs.
La situation s’est encore envenimée en octobre 2015, lorsqu’un grand requin blanc, extrêmement rare à La Réunion, et surtout protégé par les conventions internationales, est venu mordre une drumline. Les autorités ont décidé de ne pas le relâcher, contrairement aux autres prises accessoires du dispositif, pour ne pas porter la responsabilité d’une éventuelle attaque qui s’en serait suivie. Depuis, pas un mois ne passe sans que la fondation Brigitte Bardot, Sea Shepherd ou Longitude 181 ne dénoncent les sommes consacrées à « l’extermination » des squales et le rôle du comité des pêches.
Qui, lui, assume ce qu’il répète depuis le début de la crise : les requins tigres et bouledogues pullulent depuis que la commercialisation de leur chair est interdite à La Réunion.

 

flottille Faire bouger les dogmes

Le chemin est encore jalonné d’embûches, mais la pêche réunionnaise croit que l’Europe peut bouger sur le dogme de l’unité du droit communautaire et reconnaître les besoins spécifiques de ses régions ultra-périphériques (Rup).
Un pas a été franchi avec la visite dans l’île, en novembre 2015, de trois eurodéputées de la commission pêche. Elles avaient quitté La Réunion en reconnaissant ces spécificités et en promettant un rapport d’initiative parlementaire. Des auditions ont effectivement débuté à Bruxelles en juin.
La chef de délégation, l’Allemande Ulrike Rodust, devrait faire une première présentation en novembre et son rapport pourrait être adopté courant 2017. Juste au moment où débuteront les négociations pour la politique commune de la pêche (PCP) d’après 2020. Qui pourrait contenir, espère le comité régional des pêches (CRPMEM), l’autorisation de nouvelles aides à la construction de navires.

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Jean-René Enilorac mise sur de nouvelles aides à la flottille.

Jean-René Enilorac, président du comité, estime que La Réunion a trop peu bénéficié d’aides avant leur interruption. Ce n’est que dans les années 1990 qu’elles ont commencé à être sollicitées et l’île plafonne à 30 000 kW alors qu’elle dispose d’une autorisation de près de 50 000 kW. L’objectif premier du CRPMEM est d’obtenir le renouvellement de la flotte artisanale et côtière, vieillissante. Il travaille aussi au financement par l’Europe et les collectivités locales d’un moule pour construire une série de bateaux polyvalents de 7 à 8 mètres.
Mais la pêche réunionnaise veut surtout se réapproprier les ressources de son bassin maritime. En obtenant l’autorisation de mettre en chantier des navires de 30 à 45 mètres pouvant aller au nord de la zone exploitée par les palangriers. Là où évoluent notamment les thoniers européens ou asiatiques.
« On a fait du côtier parce qu’on n’avait pas les bateaux pour aller plus loin, commente Jean-René Enilorac. Il faut nous donner les moyens de développer nos filières. Et le moyen, c’est la flotte. »
« La réalité, c’est le sous-développement de la pêche dans les Rup, renchérit le député européen (et réunionnais) Younous Omarjee. Nous sommes face à des aberrations telles que, si elles n’étaient pas corrigées rapidement, elles condamneraient définitivement tout développement de ce secteur. Le Parlement européen entend contribuer à l’accomplissement du saut qualitatif attendu depuis des années. » Verdict dans quelques mois.

 

Le poisson des glaces revient

Avec une biomasse estimée à 100 000 tonnes à Kerguelen, les Terres australes (Taaf) et la France couvent sans doute le stock le plus important de poisson des glaces. Une espèce appréciée sur les marchés polonais et russe, dont les quotas mondiaux annuels n’excèdent pas 4 000 tonnes, avec la Georgie du Sud, dans l’Atlantique sud, comme principal lieu de pêche.
Quasiment sans arête, avec une chair ferme et blanche, ce poisson s’échange à 5 dollars le kg en moyenne. Mais il n’est plus pêché dans les eaux françaises depuis le début des années 1990, après une phase de surexploitation.
Selon Guy Duhamel, directeur du département milieux et peuplements aquatiques du Muséum national d’histoire naturelle et conseiller scientifique des Taaf, les stocks sont totalement reconstitués à Kerguelen, avec un retour aux niveaux des années 1980. Dans un rapport remis aux Taaf en mai, il préconise d’établir un nouveau Total admissible de captures (Tac) autour de 10 000 tonnes.
Alors que les Taaf souhaitent depuis longtemps diversifier la pêcherie australe, notamment pour accroître, grâce aux droits de pêche, des ressources aujourd’hui concentrées sur la légine et la vente de timbres, l’idée paraît séduisante. Mais leur décision, attendue dans les jours qui viennent, devrait être bien plus prudente. L’an dernier, l’ouverture d’un quota de 1 490 tonnes n’avait en effet pas suscité d’enthousiasme. Seule la Copecma  (lire ci-dessous) s’était lancée avec une autorisation de 400 tonnes.
Le Syndicat des armements réunionnais de palangriers congélateurs (SARPC), qui regroupe les armements à la légine, s’était battu pour obtenir la campagne d’évaluation et contre l’attribution d’un quota à la Copecma. Mais il ne s’était finalement pas aventuré dans la diversification.
Ses membres assurent que ce sera le cas cette année, avec le chalutier-caseyeur Austral de la Sapmer. Reste à trouver quand : le navire pêche la langouste de Saint-Paul et Amsterdam du 1er décembre au 30 avril, ce qui est aussi la meilleure période pour le poisson des glaces.

 

 


La Copecma y croit

« Nous avons perdu de l’argent mais notre société n’a pas été créée pour un an. C’est un poisson de bonne qualité, pêché dans des mers saines, nous arriverons à le valoriser. Il y a seize ans, la légine, c’était 5 ou 6 dollars. Aujourd’hui, c’est 35 dollars. »
Première à se lancer à la pêche au poisson des glaces l’an dernier, la Compagnie de pêche des mers australes (Copecma), créée et dirigée par Yannick Lauri, a bien l’intention de récidiver si les Taaf lui confient à nouveau un quota. Ce qui devrait être le cas dans les prochaines semaines.
Alors qu’elle avait affrété un palangrier australien, l’Atlas Cove, en novembre 2015, revenu à La Réunion avec un peu moins de la moitié des 400 tonnes autorisées, ce n’est que très récemment que la Copecma a pu vendre son poisson. La faute à l’embargo russe, principal marché de cette espèce, mais aussi à la petite taille des poissons pêchés l’an dernier.

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La pêche de l’« Atlas Cove » de 2015 s’est mal vendue.

Le nouvel armement a, du coup, été secoué par la défiance de l’un de ses actionnaires, qui anticipait une rentabilité plus rapide et a demandé en justice, sans succès, le paiement de sa créance. Mais rien de rédhibitoire selon Yannick Lauri.
« Cette espèce fonctionne en cohorte, continue-t-il. L’an dernier, nous n’avons pas eu de chance, le poisson était petit à Kerguelen. Il devrait être beaucoup plus gros cette année. » Avec un prix qui oscille entre 45 cents et 8 dollars selon les marchés et la taille, c’est en Asie que la Copecma a finalement trouvé acheteur. « Il ne connaissait pas le produit mais il en est très content et il est prêt à en reprendre », assure encore le directeur général de l’armement.
Il souhaitait aussi bénéficier d’un quota de légine pour assurer la rentabilité de sa prochaine marée, programmée en toute fin d’année, mais ne l’a pas obtenu. Selon lui, les Terres australes mettent en danger leurs finances et celles des armements en cloisonnant des pêcheries soumises aux aléas de la ressource.


 

 

Taaf Une immense réserve dure à surveiller

La réserve naturelle des Terres australes deviendra prochainement la cinquième plus grande aire marine protégée du monde. Reste à assurer la surveillance de cette immense zone, dans des eaux souvent tourmentées.

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La réserve naturelle des terres australes s’étendra bientôt sur plus de 570 000 km2.

En autorisant la protection des zones économiques exclusives (ZEE), y compris le plateau continental et les fonds marins, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adoptée le 20 juillet, ouvre la voie à l’extension de la Réserve naturelle des Terres australes, créée il y a dix ans.
Cela en fera, sur une superficie équivalente à celle du territoire métropolitain, la cinquième plus grande aire marine du monde. Et cela permettra à la France d’atteindre son objectif de protection de 20 % des eaux nationales (contre 16,52 % aujourd’hui). Cette extension de 550 000 km2 pourrait être effective dès le début 2017.
Depuis quelques mois, les scientifiques cartographient et hiérarchisent les enjeux de conservation des milieux marins, et travaillent à un nouveau périmètre qui tienne compte des usages en vigueur. En plus de l’intégralité des terres des îles Saint-Paul et Amsterdam, des archipels Crozet et Kerguelen, la réserve devrait en effet couvrir la totalité de leurs mers territoriales et un tiers de leurs ZEE. Ce qui pourrait créer de nouvelles contraintes pour les armements autorisés à y pêcher la légine ou le poisson des glaces.
Pour l’heure, si ces pêcheries sont surveillées et sous quotas, elles se déroulent à l’extérieur de la réserve naturelle. Seule est autorisée, autour de Saint-Paul et Amsterdam et pour un seul navire, la pêche à la langouste. C’est pour la protection de ces ressources que la Marine dépêche patrouilleurs et frégates sur zone, depuis La Réunion.
Cette mission de surveillance est effectuée en partenariat avec l’Australie, dont les îles Heard et Mac Donald sont situées sur le plateau continental de Kerguelen. Chacun des deux pays peut utiliser ses moyens de coercition dans les eaux de son voisin pour lutter contre la pêche illégale. En plus des moyens militaires, la France compte également l’Osiris, un ex-braconnier confisqué, confié à la direction de la Mer et financé par un groupement d’intérêt économique qui regroupe les armateurs à la légine.
Dans cette immense zone de près de 2 millions de km2, non contiguë et très éloignée des ports français comme australiens, les navires sont assistés, et éventuellement guidés vers des braconniers, par le Cross Réunion, qui veille sur les écrans du système Radarsat, mis en place en 2003.
Ce système de surveillance satellitaire a permis de réduire considérablement la piraterie. Dix infractions avaient été constatées en 1998, avec une pêche illégale estimée à 20 000 tonnes de légine. Elles ont progressivement diminué jusqu’à devenir très rares. Le dernier arraisonnement date de février 2013.
Avec l’extension de la réserve naturelle, l’enjeu de cette surveillance maritime va redoubler. Sur terre, où cohabitent les zones de protection intégrale, celles réservées à la recherche et les zones à activités réglementées, les consignes ne devraient pas changer.

 

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défense Port des galets attend du renfort

« Depuis le départ du batral « La Grandière », il est vital pour moi de saisir toutes les opportunités. » La petite phrase, prononcée en juin par le général Franck Reignier, commandant supérieur des Fazsoi (forces armées de la zone sud de l’océan Indien), à l’occasion de l’escale à La Réunion de la mission Jeanne d’Arc, reflète le sentiment général des marins sur la base Port des galets.
Le troisième port militaire français, après Brest et Toulon, s’est vidé de ses forces. Et attend avec impatience une remontée en puissance promise avec l’arrivée, en avril 2017, du B2M Champlain, troisième bâtiment multimission de la série commandée aux chantiers Piriou, initialement annoncé en Polynésie et finalement attribué en urgence à La Réunion. Un bâtiment qui doit précéder de quelques mois le navire polaire qui sera partagé par la Marine nationale avec les Terres australes, pour ravitailler la Terre Adélie.

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Les frégates réunionnaises (ici le « Floréal »), seront bientôt épaulées par un bâtiment multimission.

Quatre des six navires hauturiers de la Marine ont en effet été désarmés récemment. Les P400 La Boudeuse et La Rieuse d’abord, en 2010 et 2011, le patrouilleur austral Albatros en 2015, le bâtiment de transport léger (batral) La Grandière en mai. Seule l’arrivée du patrouilleur Le Malin, en 2011, est venue contrebalancer la désertification des quais de la base navale. Mais l’ancien palangrier, confisqué après avoir été surpris en train de braconner dans les eaux de Kerguelen, manque de pièces détachées et n’est pas adapté à un long isolement dans les eaux froides.
Ne reste donc que les frégates Floréal et Nivose pour surveiller l’immense territoire des ZEE de Crozet, Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam. Sans compter celles du canal du Mozambique, autour des îles Éparses, dans un contexte de forte recrudescence de la pêche illégale – à chaque passage près de Juan de Nova ou Europa, des pêcheurs malgaches sont surpris en train de pêcher des holothuries. Le Champlain devrait donc avoir du travail dès son arrivée. Et justement, il devrait être plus souvent sur l’eau que ses glorieux aînés.
Avec un équipage de 21 marins, 30 pour les missions de souveraineté (contre 54 pour l’Albatros et 40 pour La Grandière), il pourra disposer de deux équipages et ses arrêts techniques sont prévus pour durer 15 jours, contre 2 mois chaque année pour les bâtiments plus anciens. Plus gros que les frégates de surveillance mais plus légèrement armé, son arrivée signera aussi le passage pour La Réunion à une marine tournée vers l’action de l’État en mer et des missions de faible intensité.

 

Le whale watching, secteur en plein doute

Bateaux à quai, effectifs limités au strict nécessaire, entreprises en vente… À La Réunion, le secteur de la promenade en mer pour l’observation des baleines, le whale watching, est en plein doute.

Après des années de forte croissance, quand les baleines à bosses se croisaient dès la sortie des ports de l’ouest de l’île, il subit le contrecoup de leur quasi-disparition des radars depuis l’hiver austral 2015. Une disparition aussi inexpliquée que l’avait été leur arrivée en grand nombre à partir de l’année 2008.
Alors que le secteur était auparavant très limité, comptant sur les seuls dauphins et la contemplation des fonds marins, la multiplication des observations avait conduit la plupart des clubs de plongée sous-marine à proposer de nager à proximité des cétacés.
La principale entreprise, Croisières et découverte, qui comptait déjà deux catamarans et deux bateaux promenade, avait fait l’acquisition d’un troisième catamaran pour monter en gamme. Des concurrents s’étaient installés et d’autres ont passé commande de grands navires. Un bateau de 110 places, construit en Afrique du Sud et subventionné par la région à hauteur de 500 000 euros, est ainsi encore attendu dans l’île.
Mais les souffles de baleines sont retombés. Croisières et découvertes est en vente et son patron, Olivier Del Vecchio, qui assure que cette cession n’a rien à voir avec l’absence des baleines, reconnaît ne plus pouvoir compter sur elles pour bâtir son plan d’affaires. Sea Blue, qui avait transféré une partie de son activité de Mayotte à La Réunion, est retournée dans l’île aux Parfums en laissant à quai son semi-rigide.
« C’est difficile, confirme Grégory Theate, gérant d’Océan dream croisières, une société lancée avec deux catamarans en 2012 et qui n’en exploite plus qu’un. Nous avons dû nous séparer de notre seul salarié et avec mon associé, on travaille un peu partout dans le monde. Il n’y a plus de travail pour deux. » Seule consolation pour La Réunion, tout le sud-ouest de l’océan Indien constate une moindre affluence des baleines à bosses depuis l’an dernier.

 

Deux ans de travaux pour la route du littoral

Démarré au printemps, le chantier de la route du littoral, entre l’ouest et le nord de l’île, se traduit notamment par la construction du plus long viaduc en mer de France.

Il y a quelques semaines, le préfet de La Réunion a cru bon de rappeler aux automobilistes quelques conseils de prudence. Respecter les distances de sécurité, certes, mais également ne pas s’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence pour prendre des photographies.
En cause, le démarrage des travaux de construction, à moins de 200 mètres de la côte dans le nord-ouest de l’île, du plus long viaduc en mer de France. Un tablier de 5 409 mètres, posé sur 48 piles, qui fera la jonction entre deux digues de la Nouvelle route du littoral (NRL), la future liaison de 12,5 km qui doit sécuriser, à l’horizon 2020, un des axes routiers les plus fréquentés de l’île. Le viaduc n’est qu’un élément de cette quatre voies en mer mais sa construction constituera, pendant deux ans, la phase la plus spectaculaire du chantier commandé par le conseil régional.
Pour installer en mer les éléments les plus lourds des 48 piles – des semelles de 4 800 tonnes, des fûts et des méga voussoirs de 2 400 tonnes –, le groupement viaduc (Vinci grands projets, Bouygues TP, Demathieu et Bard, Dodin Campenon Bernard) a en effet fait construire en Pologne, pour 85 millions d’euros, une méga-barge de 107 mètres de long et 44 mètres de large, pour 7 mètres de hauteur de coque.

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La mégabarge assure le spectacle à quelques mètres de la route actuelle.

L’engin, arrivé dans l’île en mai et baptisé Zourite (le nom créole des poulpes), déploie huit jambes de 55 mètres, qui ont chacune une poussée de 4 000 tonnes, et deux ponts roulants capables de lever près de 5 000 tonnes. Une centrale à béton est également installée à bord.
La méga-barge est restée plus longtemps que prévu dans un des bassins du grand port maritime, à quelques encablures de la zone de chantier, pour procéder aux vérifications réglementaires, aux derniers réglages et aux entraînements des trois équipages de six marins qui vont se relayer, sept jours sur sept et 24 heures sur 24, pour la manœuvrer. Mais désormais, elle doit prendre son rythme de croisière et installer une pile tous les quinze jours.
Chacun de ses ateliers sera accompagné de chalands, d’autres barges et navires de transport ou d’assistance. Mais pour ajouter au spectaculaire du ballet nautique, il faudra aussi compter avec l’acheminement des éléments préfabriqués du tablier lui-même. Les voussoirs seront transportés sur des fardiers de 216 roues et mis en place par un lanceur de 278 mètres de long sur 28 mètres de haut, construit spécifiquement en Italie pour les besoins du chantier.

 

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Des scaphandriers formés localement

Avec le balisage de la réserve naturelle marine, la pose de filets anti-requins et, désormais, le méga chantier d’une autoroute en mer, les besoins en scaphandriers n’ont jamais été aussi importants à La Réunion. Seanergy, l’une des entreprises locales du secteur, l’a bien compris et vient de créer sa propre école. La quatrième en France après Saint-Mandrier, Marseille et Trébeurden. La seule entre l’Inde et l’Afrique du Sud.
Déjà équipée d’un caisson hyperbare, Seanergy a acquis les narguilés, casques et valises de communication nécessaires à la formation d’une douzaine de stagiaires par session. Elle a surtout reçu l’agrément qui lui permet de certifier des plongeurs classe IIA avec titre professionnel, qui peuvent travailler jusqu’à 50 mètres de profondeur, et a été autorisée à organiser des ateliers en mer.

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La Réunion a la seule école de scaphandriers entre l’Inde et l’Afrique du Sud.

Les formations doivent durer 12 semaines et s’adressent à des plongeurs de niveau 3 ou à des salariés du BTP qui souhaitent élargir leurs compétences. « Il y a un gros turnover dans ce métier et les scaphandriers ont l’habitude de passer de chantier en chantier, explique Emmanuel Eby, directeur d’exploitation de la société. Nous préférons recruter localement pour assurer une stabilité de nos équipes. C’est plus facile quand la famille est à proximité. »
S’il ne peut les chiffrer précisément – tous les marchés de l’autoroute en mer ne sont pas encore attribués –, le formateur assure que les débouchés sont prometteurs, et pas seulement chez Seanergy.

 

Des mesures prises pour éviter le bruit en mer

Pour compenser la perturbation de la vie marine pendant le chantier de la Nouvelle route du littoral, l’autoroute en mer qui doit relier l’ouest et le nord de l’île à l’horizon 2020, la région, son maître d’ouvrage, souhaite étendre la réserve nationale ou créer une nouvelle aire marine protégée, sur une surface de 200 hectares. Des discussions sont en cours avec les communes bordées de récif corallien dans le sud de La Réunion.
C’est l’une des 147 mesures environnementales mises en place dans le cadre de cet énorme chantier. Quelque 80 millions d’euros doivent y être consacrés au total. La liste comprend ainsi le déploiement des barrages antimatière en suspension pour protéger le corail à proximité du chantier ou l’installation sur quelques piles du viaduc en mer de modules avec alvéoles pour recruter des larves de coraux. Surtout, les entreprises ont l’obligation de veiller à ne pas (trop) perturber les mammifères marins.
Alors que La Réunion connaît une baisse de fréquentation de ses côtes par les baleines à bosses depuis l’an dernier, la région craint en effet que ce désamour soit attribué au bruit du chantier ou, pire, que celui-ci ne soit à l’origine de la mort d’un cétacé. Une hypothèse plausible : les lésions acoustiques peuvent conduire à un échouage ou à des difficultés d’alimentation.
Du coup, un ULM survole tous les matins la zone de chantier et interdit aux engins de démarrer si des dauphins ou une baleine évoluent à proximité. Des rideaux de bulles sont également déployés autour des ateliers les plus bruyants pour casser les ondes sonores. Et des suivis de populations ont été confiés à des associations spécialisées et des bureaux d’études.

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